Ihsane-Soufisme

Le Soufisme « AT-Taçawuf »

« Les années passent, d’autres arrivent avec leurs cortèges de réalités ; mieux vaut rester sur ses gardes pour ne pas tomber dans le piège » Serigne Cheikh Tidiane SY (qu’Allah sanctifie son secret). (1)

La littérature islamique nous renseigne sur le fait que le taçawuf a fait l’objet d’interminables procès. Certains littéralistes estiment que cette science est hérétique. En effet, ils considèrent que le verset 3 de la sourate Maida et le hadith sur l’innovation clôturent la mission du prophète (Psl).(2) Ainsi, toute science ou toute connaissance développée après la « mort » physique du Prophète Muhammad (Psl) est synonyme d’« innovation » ou d’ égarement. 

Dans son fameux discours de 1965, le penseur Serigne Cheikh Tidiane Sy affirmait ceci : « nous vivons à une époque où la contradiction semble amuser les grands esprits ». Cette affirmation traduit le manque d’honnêteté de ces savants en ce sens qu’Allah, dans son livre, a voulu la divergence d’opinions. Cette flexibilité ou divergence religieuse est une miséricorde divine sur les croyants. Par conséquent, il serait prudent de ranger les écriteaux qui nient la divergence d’opinions et d’abandonner la voie du Takfrisme ou de l’excommunication(3). Dès lors, il urge d’emprunter la voie du maître de Tivaouane, c’est-à-dire de prôner la tolérance et la compréhension tout en refusant le conformisme desséchant ou outrancier. Seydi El Hadj Malick SY (RTA), « ne cherchait pas à opposer les doctrines ni à privilégier l’une sur l’autre. Il prenait le soin d’exposer les thèses de chaque école pour donner son avis» (4). Avant de jeter l’anathème sur le taçawouf et ses adeptes, il serait judicieux de revisiter la notion de l’innovation. Ce terme renferme deux réalités diamétralement opposées. Ainsi, les littéralistes se fondent sur le hadith rapporté par Jabir ibn Abd Allah cité ci-après : « Certes, les plus mauvaises choses sont les innovations et toute innovation est synonyme d’égarement. (Version Sahih Muslim n°867). Cependant, les maîtres de hadiths tels qu’Imam Nawawi, Ibn Hajar ou Imam Ash Shafi’i et Imam Suyyiti estiment que le Kullu (toute) dans ce hadith doit être compris au sens suivant : « toute innovation qui contredit les principes religieux (Coran et hadith)» (5). Ces derniers soumettent des réserves sur la thèse des littéralistes, en ayant comme fondement juridique le hadith de la mère des croyants Aïcha dans les deux authentiques (6). : « Celui qui innove dans notre affaire-ci (la religion) une chose qui n’en fait pas partie, alors cette chose est rejetée ». A la lumière de ce dernier hadith, nous pouvons dire que l’innovation doit être comprise au sens large en sus de la précision du Prophète : « qui n’en fait pas partie ». Nous ne pouvons pas être plus Déiste que Dieu et plus Mouhammédien que Seydina Mouhammad (Saws). Si nous faisons un périple historique, nous remarquons qu’après la disparition de notre bien Aimé, certains savants ont créé des sciences en vue de faciliter la diffusion et la compréhension de l’Islam. Il ne serait pas superflu de rappeler le fameux hadith de Seydina Jeebril qui cimente la religion musulmane. A la lecture de ce récit, nous retiendrons en somme que l’Islam repose sur trois pieds (l’islam, l’imane et l’ihsane) qui assurent l’équilibre de la religion d’après l’héritier spirituel du sage de Tivaouane. C’est dans cette lancée que nous pouvons affirmer que ce triptyque (imane, islam, ihsane) constitue la descendance légitime de l’Islam. Ces derniers ont donné naissance à trois sciences qui ceinturent la vie du musulman et ce jusqu’au flanc inconsolable de la tombe.

De l’islam est né la jurisprudence islamique qui est constituée de plusieurs écoles à savoir : l’école Malikite, l’école Hanbalite, la doctrine de Abu Khalifa et de l’imam AS Shaffi. Leur divergence est une continuité de l’enseignement prophétique. Nous avons une panoplie de récits prophétiques et sahabatiques qui légitiment cette divergence. De son vivant, le Prophète (PSL) a eu à approuver les actes et les dires de ses valeureux compagnons : « Sur quelle base juridique fonderas-tu ta sentence Ô Mouadh : il répondit : sur le coran et la sounna, mon bien aimé. Et si tu n’en trouves pas ? J’use de mon intellect pour donner mon avis. »

L’envoyé d’Allah était très content à telle enseigne qu’il remercia le Maître de l’univers de lui offrir un jeune sage à la trempe de Moua’ad (7). Ces faits corroborent avec la parole du Prophète (PSL) selon laquelle : l’effort intellectuel est récompensé même en cas d’erreur.” (8) Parallèlement, à la science jurisprudentielle, d’autres savants se sont intéressés à la foi. Cette science traite des questions liées au dogme ou au fondement de la croyance. La théologie musulmane est issue donc de ce pilier qu’est l’imane. En arabe, elle se nomme Ilmoul Aqîda et étudie tout ce qui est en rapport avec la croyance. Plusieurs écoles ont émergé mais les plus connues restent : l’école Ach’arite et Maturidite. Toutes les sensibilités religieuses acceptent la légitimité de ces dites sciences malgré qu’elles soient nées après le Prophète (PSL). Par conséquent, il serait illogique de réfuter ou de stériliser le pilier de l’Ihsane pour paraphraser Seydi Ben Cheikh. Avant de discréditer le taçawouf, examinons d’abord son contenu. Il faut noter que toutes ces sciences étaient auparavant « des réalités sans nom » aujourd’hui, elles sont devenues des noms sans réalités. Imam Junayd dira que le taçawouf est « subordonné au livre et à la sounna; et quiconque n’a pas appris le coran, n’a pas transcrit la Tradition (hadith) et n’a pas étudié la loi, ne saurait servir d’exemple » (9). Par ailleurs, ce terme a des parentés linguistiques avec le mot suivant : Çafâ ou pureté en rapport avec l’action de purification du cœur ou encore la laine que ces nobles personnes portaient symbolisant leur simplicité.

L’objectif du taçawuf n’est rien d’autre que permettre au disciple de revenir à son état de fitra, afin qu’il puisse retourner à Allah avant le « vrai retour » et ainsi s’anéantir dans le Moi divin. En outre, il faut comprendre que les maîtres taçawuf puisent dans le Coran et la Sounna pour mettre en place des moyens d’éducation spirituelle. Celle-ci est une concrétisation de la parole prophétique : « Adore Allah comme si tu Le voyais, car si tu ne Le vois pas, Lui te voit » (10). Il s’agira de réconcilier l’aspect intérieur avec l’extérieur et donc adorer Allah avec son esprit, son cœur et son corps (S33-V21). Allah dit dans la sourate Jumua que « c’est Lui qui a envoyé à des gens sans livre un Messager des leurs qui leur récite Ses versets, les purifie et leur enseigne le livre et la sagesse … » (11). Ailleurs dans la sourate Ash chams, Allah félicite les serviteurs qui purifient leurs cœurs (S91-V9) pour aider les âmes en errance à retrouver leur nature originelle (fitra) et à redécouvrir le centre de leur secret (le Sirrou). Les éducateurs spirituels se servent de deux choses décrites aux versets 190 et 193 de la sourate 3 : d’abord, le dhikr qui désigne à la fois le souvenir ou le retour au divin et la pratique rythmique du nom divin ou des prières sur le prophète. Néanmoins, il faut rappeler qu’il y a plusieurs catégories de Dhikr : celui fait par la langue (niveau inférieur), le Dhikr fait par le cœur et celui fait par l’esprit (niveau supérieur). Dans plusieurs sourates du coran, Allah évoque l’éminence de cette pratique (S29-V45). De même, dans un hadith sacré, Allah s’adresse ainsi à son serviteur : « Je suis selon l’opinion que Mon serviteur se fait de Moi, et Je suis avec lui lorsqu’il M’invoque ». Mieux, le Prophète (Saws) dit à ses compagnons que « le cœur se rouille comme le fer et pour le faire briller, le croyant doit constamment faire du Dhikr ». Quant au Fikr, il permet au cheminant de se maintenir raccordé au câble divin. Toutes ses pensées sont submergées dans le Moi divin. Il concrétise le verset coranique (S7V-204) ou encore le verset « ceux qui, debout, assis ou couchés, invoquent Allah et méditent sur la création des cieux et de la terre … ». (S3-V190-193). Le Fikr façonne l’intellect du croyant. 

Cette étude nous renseigne par ailleurs sur le fait que le Taçawouf demeure la sève qui irrigue la vie de L’Islam. Ses détracteurs ont et auront tort de le jeter à la poubelle d’une simple innovation sans valeur ajoutée. Comme le dit Serigne Cheikh Tidiane Sy : « Il est dix fois plus facile d’être dispensateur d’injures que d’être contestataire de vocation ; la contestation qui est considérée par les grands de la pensée comme la conséquence d’une découverte inaliénable, la découverte d’une seconde vérité. Cette contestation ne saurait servir de prétexte à des agissements plus ou moins douteux, plus ou moins condamnables ». (12)

(1) Conférence Diourbel 1965 : l’Islam et le Monde
(2) Hadith de Jarîr Ibn Abdellah Albajalî Sahih Muslim,n°2348
(3) Cf hadith rapporté par Muslim et Al Bukhari , chap 325 p411, n°1732
(4) Voir Ifhâm al munkir al jâni ou Kifâyat ar -ragibîn
(5) L’imam dans charh (commentaire) du Sahih Mouslim Tome 6 , p154-155
(6) Sahih Al Bukhari,n°2697 ,et Sahih Muslim, n°1718
(7) Rapporté par At -Tirmidhi et Abû Dâoûd , voir aussi A’lâm ul -muwaqqi’n, tome 1 pp.49-50
(8) Rapporté par Al -Bukhârî hadith n° 6805
(9) Abû Qasim Al Junayd (830 -930 ap J-C) surnommé l’Imam du Taçawuf
(10) Hadith de Jibril ,pilier de ihsan), Rapporté par Muslim :chap 5 , n°60
(11) Sourate Al juma V2 , voir aussi sourate baqara V151
(12) Conférence Diourbel 1965 : L’Islam et le Monde.

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